L’Union Economique Eurasiatique (UEE) : le nouvel empire russe ?
Actuellement, l’UEE est l’un des programmes d’intégration économique régionale les plus avancés au monde, après l’Union Européenne. C’est également la première initiative fructueuse entre des pays de l’ex-URSS.
Son développement s’est accéléré à partir de 2010 avec, dans un premier temps, la création d’une Union douanière entre les trois principaux pays de la région eurasiatique, à savoir la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. Ces trois Etats forment depuis 2012 un Espace économique commun, parachevé par l’institution de l’UEE au premier janvier 2015. Parallèlement à l’approfondissement des mécanismes institutionnels d’intégration que représentent ces trois étapes, l’UEE s’est élargie à de nouveaux pays : l’Arménie (janvier 2015) et le Kirghizstan (août 2015). Fortement inspirée du modèle européen, l’UEE prévoit une libre circulation des personnes et des capitaux, ainsi qu’un libre séjour et un droit d’étudier et de travailler dans n’importe quelle région de cette union.
D’après l’Union Européenne, l’UEE est un projet qui vise à accroitre la domination russe dans la région et à limiter la capacité de ses autres membres à entretenir des relations avec l’Occident. Dorénavant toute tentative d’accords commerciaux en bilatéral est impossible, ces derniers devant s’appliquer à l’ensemble des pays de la zone. D’après H. J. Mackinder, « Qui gouverne l’Europe orientale contrôle le Heartland ; qui contrôle le Heartland règne sur l’Ile Mondiale ; et qui règne sur l’Ile Mondiale dirige le Monde. ». Cette théorie vieille de plus d’un siècle explique bien l’ambition dominatrice de Moscou sur la région. En effet, l’UEE peut être perçue comme la prolongation de la sphère d’influence russe, ce qui se perçoit tout d’abord dans le mode de gouvernance. La Commission eurasiatique, l’organe supranational, est divisé en plusieurs départements composés de 84% de représentants russes, 10% de Kazakhes et 6% de diplomates venus de Biélorussie. La répartition se fait proportionnellement à la population des Etats membres. Ainsi, cette répartition montre la prédominance de la Russie dans le principal organe décisionnel de l’Union.
En outre, l’UEE, et plus particulièrement la Russie, prévoit de créer une grande zone de libre-échange avec des pays-tiers par le biais d’accords de libre-échange (ALE). Avant même sa création officielle, plusieurs pays se disaient intéressés par l’idée de conclure des accords de libre-échange avec l’Union douanière, parmi lesquels l’Inde, le Chili, Singapour, Israël et la Nouvelle-Zélande. Cette dernière a, toutefois, abandonné toute négociation après l’annexion de l’Ukraine par la Russie. Le projet semble porter ses fruits puisqu’en novembre 2015, le premier ALE a été conclu avec le Vietnam, et, actuellement, des négociations sont en cours avec l’Inde. Prenons l’exemple du Vietnam. De par sa croissance démographique rapide et la volonté de l’UE de trouver d’autres fournisseurs depuis l’épisode ukrainien, le Vietnam représente un débouché sûr pour le pétrole et le gaz de Russie, dépendante de ce secteur puisqu’il contribue au PIB russe à hauteur de 51%. Des études ont montré que la consommation du Vietnam en pétrole atteindra 6 millions de mètres cubes en 2020 et 15 millions d’ici 2025. En plus de la réduction des taxes sur de nombreux produits, l’accord contient une clause spécifique entre le Vietnam et la Russie facilitant l’accès au marché des services et de l’automobile. Plusieurs scénarii sont envisageables dont le plus probable est la possibilité pour les entreprises nationales russes de réaliser des fusions-acquisitions avec les entreprises vietnamiennes afin de gagner en savoir-faire dans le domaine de la construction automobile, domaine dans lequel le Vietnam excelle. Puis, après le rachat de la partie vietnamienne, la Russie bénéficiera d’une main-d’œuvre moins onéreuse pour la fabrication de ce bien avant de pouvoir le vendre aux autres pays de l’Union.